L'enregistrement de l'émission n'a pu être numérisé en raison de problèmes techniques. Voici les présentations faites par les animatrices de l'émission :
Hubert Haddad, Le nouveau nouveau magasin d'écriture, Ed. Zulma
Curieux ouvrage qui tient à la fois du scrapbook – un cahier dont on garnit les feuilles d'images, de souvenirs ou de citations pour en garder la trace – et du cabinet de curiosités. Hubert Hadadd nous promène à travers ses vastes lectures, soucieux de faire étalage de sa stupéfiante érudition. Et, de fait, il a dévoré quantité de choses passionnantes, couru les musées, compulsé les albums. Ramassés sur 600 pages et entrecoupés de suggestions relatives à des œuvres qui resteraient à composer, ces extraits illustrés se présentent comme un tourbillon onirique. Qui se feuillette avec plaisir certes, mais qui manque singulièrement de substance. Car la scène dressée reste désespérément vide. Bref, pour citer l'auteur : « un ascenseur sans retour »…
Ami Bouganim, Walter Benjamin, le rêve der vivre, Ed. Albin MIchel
Walter Benjamin est un penseur énigmatique. A la croisée du judaïsme et de la philosophie, de la Cabale et du marxisme. Mais il ne connaissait guère la Cabale – pas plus que le marxisme du reste. Il nous laisse donc une pensée inachevée, des fragments épars, parcourus parfois d'illuminations fulgurantes – mais perdus le plus souvent au milieu de bribes à la limite du compréhensible. Désordre et confusion que l'on retrouve dans a vie et son destin. Il a poussé, nous dit l'auteur, l'errance juive jusqu'au désarroi.
Devenu penseur à la mode, Benjamin est devenu aujourd'hui la proie des commentateurs subtils. Trop subtils peut-être à force de se perdre en surenchères scolastiques qui – sous prétexte de nous offrir des interprétations dialectiques de sa pensée, - rendent encore moins compréhensible son babil de génie.
Benjamin était en somme un raté de génie. Déchiré entre son ami (véritable) Gershom Scholem et son faux camarade Berthold Brecht, dévoré par sa névrose d'échec, incapable de vivre ses amours, miné par son penchant suicidaire, il n'a pas su mener à bien ni sa vie personnelle, ni sa vie professionnelle, ni sa carrière de critique et de penseur. Ne parvenant même pas à rédiger ce qui eût dû devenir son œuvre maîtresse : son grand livre sur les passages parisiens.
Au rebours de tous ceux qui se plaisent aujourd'hui à l'encenser, Ami Bouganim refuse de s'extasier, confit en dévotion, devant la figure tragique de Walter Benjamin. Il expose lucidement ses faiblesses, ses incohérences et ses échecs. Et il fallait pour ce faire pas mal de courage, comme toujours lorsqu'il s'agit d'aller à l'encontre des idées reçues. Mais en appliquant à l'auteur lui-même l'art du montage que celui-ci préconisait, Bouganim nous livre une exploration magistrale de sa pensée souvent obscure, sans chercher à en masquer les incohérences. Examen critique qui nous restitue ce personnage aussi mystérieux qu'attachant.
Christopher R. Browning, Les origines de la solution finale, Ed. Les Belles Lettres
Christopher Browning est l'auteur d'une étude fondamentale sur la Shoah intitulée Des hommes ordinaires dans laquelle il analysait comment de simples recrues du 101ème bataillon de réserve de la police allemande, dont la plupart n'était même pas membres du parti nazi, se sont livrés sans états d'âme à l'extermination de la population juive de Pologne en juillet 1942.
Dans cet ouvrage – essentiel, lui aussi, et fondé sur le dépouillement minutieux des archives – il s'efforce de reconstituer le processus qui a abouti à la décision, prise au cours de l'automne 1941, d'exterminer la totalité de la population juive en Europe – femmes, enfants et vieillards compris – avec le plein appui de la Wehrmacht et sans rencontrer d'opposition notable, bien au contraire.
Car il faut savoir qu'au départ, la politique nazie visait à regrouper la population juive dans une espèce de réserve qui serait située en Europe orientale. Lorsque ce projet s'est révélé irréalisable, les dirigeants nazis ont envisagé une déportation massive vers l'île de Madagascar. Ce n'est qu'avec l'invasion de l'Union soviétique qu'a pris corps, peu à peu, le projet d'éradication totale des Juifs.
Mais initialement, c'est la Pologne qui a servi de laboratoire à la cristallisation de la politique raciale exterminatoire du Troisième Reich dont la mise en œuvre avait en fait débuté par l'assassinat des malades mentaux allemands dans le cadre de l'infâme programme surnommé « T-4 ». Les exécutants de ce massacre de masse, qui a frappé plusieurs dizaines de milliers de personnes, seront appelés à participer activement à la mise en œuvre de la Shoah, et cela compte tenu de leur « expérience ».
Je saisis l'occasion pour signaler que la participation de la Wehrmacht à la perpétration de la Shoah constitue le thème de l'avant-dernière livraison de la Revue d'Histoire de la Shoah, qui y consacre un important dossier.